- ANÉMIES
- ANÉMIESL’anémie est souvent identifiée à la pâleur. Cette notion populaire correspond à une donnée physiologique: les globules rouges contiennent un pigment de coloration rouge, l’hémoglobine. Ce pigment, rouge comme la couleur du sang qui s’écoule d’une blessure, participe à la coloration des téguments. Cette coloration dépend donc de la concentration en hémoglobine dans le sang. Il a paru longtemps logique d’identifier cette concentration en hémoglobine dans le sang au nombre des globules rouges. En fait, le nombre des globules rouges et la concentration en hémoglobine n’évoluent pas toujours de façon parallèle. On peut, en effet, avoir un nombre de globules rouges normal mais dont la taille est anormalement petite. La quantité d’hémoglobine contenue dans le sang sera donc insuffisante chez un sujet présentant cette particularité. C’est sur la teneur en hémoglobine du sang que l’on doit définir l’existence ou non d’une anémie. C’est d’autant plus indispensable que la fonction de transport des gaz de la respiration – transport de l’oxygène des poumons vers les tissus et, subsidiairement, du gaz carbonique des tissus vers les poumons – est due principalement aux propriétés biochimiques de l’hémoglobine et non à celles des globules rouges eux-mêmes.En outre, l’identification à l’anémie de la pâleur cutanée est excessive. En effet, la couleur de la peau peut être pâle sans que la teneur en hémoglobine soit basse. C’est en particulier le cas s’il y a une diminution de la distribution des globules rouges au niveau des téguments lors de la vasoconstriction. De surcroît, il peut y avoir anémie sans qu’il y ait pâleur. C’est le cas si la baisse du taux d’hémoglobine est biologiquement significative mais quantitativement modérée. L’œil n’est en effet capable que de déceler des diminutions importantes du taux d’hémoglobine. À l’inverse, une vascularisation importante des téguments du visage peut masquer l’existence d’une anémie.L’histoire des anémies est caractérisée par deux grands progrès. Entre 1960 et 1970, les connaissances physiologiques sur les globules rouges se sont accumulées de telle sorte que le globule rouge est probablement une des cellules qui garde le moins de mystère. Plus récemment, c’est au niveau des techniques de mesure que des progrès spectaculaires ont été réalisés. L’introduction des méthodes de détection électronique puis celle des ordinateurs ont permis la mesure extrêmement précise des différents constituants du sang. De la conjonction de ces progrès en physiologie et en technologie résulte, pour les médecins, la possibilité d’élaborer, avec une grande précision et une excellente fiabilité, une méthodologie logique du diagnostic. Cette structuration logique du diagnostic est très utile dans le cas des anémies où des dizaines d’examens biologiques, radiologiques ou isotopiques sont pratiqués et des dizaines de causes sont connues.1. Rappel physiologiqueChaque globule rouge est un sac rempli quasi exclusivement d’hémoglobine. Les constituants des globules rouges autres que l’hémoglobine semblent n’avoir pour fonction que de protéger l’hémoglobine de l’oxydation. La fonction essentielle de l’hémoglobine est le transport de l’oxygène. Il est donc logique que la baisse de la pression partielle en oxygène au niveau des tissus – mesurée physiologiquement au niveau du cortex rénal – soit le stimulus de la production d’érythropoïétine. L’érythropoïétine est une glycoprotéine dont l’action élective est d’augmenter la production des globules rouges par la moelle. La durée de vie des globules rouges est en moyenne de 120 jours. Un cent-vingtième des globules rouges sont donc renouvelés chaque jour grâce à la production de base d’érythropoïétine. Cela se traduit pour le biologiste par la présence dans le sang d’environ 1 p. 100 de globules rouges plus jeunes (car leur durée de vie dans le sang est d’environ vingt-quatre heures): les réticulocytes . On dispose ainsi d’un moyen relativement simple d’apprécier la production des globules rouges. Lorsque les besoins augmentent, le taux d’érythropoïétine s’élève et le nombre d’érythroblastes (les cellules de la moelle qui donnent les globules rouges) augmente; quelques jours plus tard, le nombre de réticulocytes augmente dans le sang. Cette réponse médullaire à l’érythropoïétine n’est possible que si la moelle est normale. Il faut, pour cela, que les érythroblastes de la moelle, et leurs précurseurs, soient capables de se multiplier et de se différencier normalement [cf. HÉMATOPOÏÈSE].La multiplication des érythroblastes, comme celle de toutes cellules humaines, nécessite la synthèse de l’ADN et, par conséquent, des concentrations suffisantes, dans le plasma, d’acide folique et de vitamine B12. La différenciation des érythroblastes est caractérisée par la synthèse de l’hémoglobine. Cette protéine est riche en hème et, par conséquent, en fer.Les érythroblastes sont produits par la moelle hématopoïétique à partir des cellules souches myéloïdes qui sont aussi les précurseurs des globules blancs granuleux et des plaquettes. L’espace occupé par la moelle hématopoïétique est limité par les os à l’intérieur desquels elle se trouve. Il n’est donc pas surprenant que les proliférations malignes des autres cellules myéloïdes, ou des cellules lymphoïdes qui partagent l’espace médullaire avec les cellules myéloïdes, s’accompagnent d’anémies.2. Les principaux mécanismes d’anémiesOn distingue, classiquement et logiquement, les anémies dues à un excès de pertes et les anémies dues à un défaut de production.1. Dans les anémies dues à un excès de pertes , la moelle répond normalement à la production accrue d’érythropoïétine. Le taux de réticulocytes va donc s’élever quelques jours après le début de la baisse du taux d’hémoglobine. L’excès de pertes peut se produire à l’intérieur de l’espace vasculaire, qui est l’espace de distribution normal des globules rouges. Il s’agit alors d’une hyperhémolyse .Les hyperhémolyses peuvent être dues à des causes extérieures au globule rouge (fixation d’anticorps, libération de substances toxiques, rupture mécanique des globules rouges) ou à des causes corpusculaires (anomalies généralement constitutionnelles de la membrane, de l’hémoglobine ou des enzymes de globules rouges).L’excès de pertes peut être dû à la sortie des globules rouges de l’espace vasculaire du fait d’une lésion vasculaire. Il s’agit d’une hémorragie qui peut être externe ou interne.2. Dans les anémies par défaut de production , l’anomalie initiale est la baisse du nombre des réticulocytes. Celle-ci est suivie de la baisse du taux d’hémoglobine. Ces anémies peuvent être consécutives:a ) à un défaut de production de l’érythropoïétine; c’est le mécanisme essentiel de l’anémie de l’insuffisance rénale;b ) à un défaut de la sensibilité des érythroblastes à l’érythropoïétine; c’est le mécanisme probable de l’érythroblastopénie constitutionnelle de Blackfan-Diamond;c ) à l’inhibition immunologique de l’érythropoïèse ; c’est le mécanisme probable des érythroblastopénies chroniques acquises;d ) à une diminution de l’espace myéloïde fonctionnel: l’anémie n’est pratiquement jamais isolée et habituellement associée à une atteinte des autres lignées myéloïdes; c’est l’explication essentielle des anémies des envahissements médullaires malins;e ) à une diminution de la synthèse de l’ADN; celle-ci est souvent révélée par l’anémie, mais l’atteinte des autres lignées myéloïdes est la règle; l’anomalie de la synthèse de l’ADN peut être très pure, et elle résulte, en général, d’un défaut d’acide folique ou de vitamine B12 ; l’anémie est alors dite «mégaloblastique»; elle peut être aussi un des éléments d’un mécanisme physiopathologique plus complexe: c’est ce que l’on observe en cas d’administration de drogues antimitotiques ou dans les «dysmyélopoïèses primitives», appelées aussi «anémies réfractaires»; les érythroblastes prennent alors un aspect morphologique anormal, mais différent de la mégaloblastose des carences vitaminiques;f ) à un défaut de synthèse de l’hémoglobine, ce qui est le mécanisme le plus fréquent d’anémie, qui résulte donc:– d’une anomalie du métabolisme du fer : la plus fréquente est l’hyposidérémie, surtout par déplétion des réserves de fer (généralement due à des pertes de globules rouges par saignements peu abondants et répétés); ailleurs, par stockage du fer dans les macrophages, comme cela est observé au cours de l’inflammation – les autres anomalies du métabolisme du fer sont très graves;– d’une anomalie de la synthèse de la globine : ces anomalies sont pratiquement toujours constitutionnelles (thalassémies), exceptionnellement acquises;– d’une anomalie de la synthèse du noyau tétra-pyrrolique de l’ hème : généralement constitutionnelles (porphyries), ces anomalies ne retentissent que rarement sur l’érythropoïèse; seule la porphyrie érythropoïétique s’accompagne d’une anémie qui est de mécanisme hémolytique.3. Modes de révélation des anémies et diagnosticLa symptomatologie clinique liée à la baisse du taux d’hémoglobine est d’autant plus bruyante que la baisse du taux d’hémoglobine est plus importante, plus rapide, ne permettant pas l’adaptation de l’organisme. La symptomatologie clinique est également d’autant plus franche que l’activité physique du sujet est importante et que l’état cardio-vasculaire est précaire. La pâleur est le maître symptôme à l’examen physique. L’asthénie, le plus souvent présente à l’effort, mais parfois même au repos, les douleurs dans les territoires où les artères sont sténosées (angor, artérite) sont deux modes de révélation assez habituels bien que peu spécifiques.Dans certains cas, l’anémie est révélée par des symptômes liés à son mécanisme (ictère ou splénomégalie d’une hémolyse) ou à son étiologie (manifestations tumorales ou hémorragiques dues à un envahissement tumoral).Le diagnostic d’anémie, suspectée ou non par la clinique, ne peut être affirmé que par l’étude de l’hémogramme. Dans l’immense majorité des cas, une anémie révélée par l’hémogramme est une vraie anémie due à la baisse du volume globulaire. Les «fausses anémies par hémodilution» ne s’observent que dans certaines circonstances bien précises et aisément reconnues (grossesse, volumineuse splénomégalie, immunoglobuline monoclonale avec hyperviscosité). Les anémies masquées par une hémoconcentration existent également. Cependant, il s’agit toujours de situations transitoires (hémorragie aiguë avec perte parallèle de plasma et de globules rouges, déshydratation masquant une baisse du volume globulaire à l’hémogramme) et aisément reconnues.Les valeurs suivantes sont généralement considérées pour définir une anémie: hémoglobine inférieure à 13 grammes chez l’homme après la puberté; à 12 grammes chez la femme et chez l’enfant avant la puberté; à 10,5 grammes chez la femme enceinte de plus de trois mois; à 14 grammes chez le nouveau-né.4. L’investigation physio-pathologiqueDevant une anémie, l’étape du diagnostic physio-pathologique est essentielle, même et surtout quand les données de l’examen clinique ou de l’interrogatoire semblent orienter vers une étiologie probable.On a vu que les deux mécanismes fondamentaux d’anémie sont l’excès de perte et le défaut de production. La mesure des «constantes érythrocytaires» à partir du nombre de globules rouges de l’hématocrite et du taux d’hémoglobine permet d’être plus précis dans l’étude du mécanisme physio-pathologique. Les constantes les plus intéressantes, car jouant un rôle physiologique, sont la concentration corpusculaire moyenne (CCMH hémoglobine / hématocrite) et le volume globulaire moyen (VGM-hémoglobine / le nombre des globules rouges).L’objectif prioritaire de l’érythropoïèse est de fournir des globules rouges normochromes (c’est-à-dire dont la CCMH est entre 32 et 36 p. 100). Au-delà de 37 p. 100, l’hémoglobine précipite en solution, et un globule rouge ne peut donc pas être «hyperchrome». À l’inverse, pour prévenir l’hypochromie lorsque la vitesse de synthèse de l’hémoglobine est ralentie, on observe une prolongation du séjour intramédullaire des érythroblastes, avec une augmentation du nombre des mitoses avant la libération des réticulocytes. Ce processus a pour but de libérer des globules rouges «corrects», c’est-à-dire normochromes. C’est ici qu’intervient une deuxième constante de signification physiologique: le volume globulaire moyen. Lorsque le nombre des mitoses augmente dans la lignée érythroblastique (la valeur moyenne normale est d’environ 4 mitoses avant l’expulsion du noyau), le volume globulaire moyen diminue , et cela d’autant plus que le nombre des mitoses augmente: une microcytose est donc synonyme de tentative (presque toujours efficace, car la CCMH reste souvent normale) de compensation d’un défaut de synthèse de l’hémoglobine.En corollaire, lorsque le nombre des mitoses diminue, le volume globulaire moyen augmente . Cela s’observe dans deux circonstances principales: l’une est évidente, c’est la diminution de synthèse de l’ADN sans modification de la vitesse de synthèse de l’hémoglobine; l’autre, c’est l’hypersécrétion importante d’érythropoïétine quand la moelle est capable de répondre normalement à cette hypersécrétion: la vitesse de synthèse de l’hémoglobine est alors plus accélérée que la vitesse des divisions cellulaires. On aboutit donc aux mêmes résultats que précédemment: arrêt prématuré des mitoses liées à l’obtention plus rapide d’une CCMH normale, et libération de globules rouges macrocytaires.À partir de ces données physio-pathologiques, on peut donc distinguer sur les résultats qui sont fournis par l’hémogramme standard:1. L’anémie microcytaire (normochrome ou hypochrome): il y a défaut de synthèse de l’hémoglobine. Ce défaut peut provenir d’un défaut de fer dans le plasma, d’un défaut de synthèse des chaînes de globine, plus rarement d’un défaut de synthèse de la molécule d’hème (tabl. 1 et 2).2. L’anémie normochrome macrocytaire ou normocytaire régénérative: il peut s’agir d’une hémorragie aiguë, d’une hyperhémolyse ou encore d’une anémie par insuffisance médullaire en voie de réparation (tabl. 3).3. L’anémie est normochrome macrocytaire arégénérative: il s’agit d’un défaut de synthèse de l’ADN (tabl. 4).4. L’anémie est normochrome normocytaire arégénérative: il s’agit d’un défaut essentiellement quantitatif de l’érythropoïèse (tabl. 5).À ces quatre grandes catégories, on peut ajouter:5. Les anémies normochromes normocytaires ou macrocytaires hypochromes; la première hypothèse doit être celle d’un problème technique (sous-évaluation du taux de l’hémoglobine ou surévaluation de l’hématocrite); la première chose à faire est donc de vérifier l’hémogramme.6. Les anémies avec CCMH supérieure à la normale; les hémogrammes présentant cette caractéristique sont habituellement immédiatement recontrôlés par le laboratoire, car il s’agit toujours d’un problème technique (présence d’agglutinines froides en particulier).5. Principaux diagnostics étiologiquesAnémies par carence martialeElles sont différentes selon le contexte:– chez la femme réglée, c’est d’abord une cause gynécologique qu’il faut rechercher, et, si celle-ci est exclue, les étiologies sont les mêmes que dans le cas suivant;– chez l’homme et chez la femme non réglée, rechercher d’abord un saignement digestif (dans l’ordre: estomac, côlon, grêle); sinon, malabsorption et, exceptionnellement, saignements volontaires;– chez le nourrisson, c’est d’abord à la carence d’apport qu’il faut penser, carence due à un régime insuffisamment riche en fer dans les premiers mois, éventuellement favorisé par une prématurité, une gémellarité, un saignement néo-natal, une carence martiale chez la mère.Anémies hémolytiquesOn peut distinguer:– les anémies corpusculaires et constitutionnelles dues à une anomalie de la membrane (sphérocytose héréditaire, elliptocytose héréditaire...), à une anomalie de l’hémoglobine sans défaut de synthèse (hémoglobine S homozygote, hémoglobine SC, hémoglobine instable); à une anomalie enzymatique (déficit en G6PD, le plus fréquent responsable d’hémolyse déclenchée par les prises de médicaments oxydants ou des infections; autres déficits beaucoup plus rares);– les anémies corpusculaires et acquises : hémoglobinurie paroxystique nocturne;– les anémies extra-corpusculaires et acquises : immunologiques – auto-immunes (idiopathiques médicamenteuses) ou immuno-allergiques (médicamenteuses); mécaniques (microangiopathie thrombotique, prothèses intracardiaques hémolysantes); infectieuses (paludisme et septicémie); toxiques (plomb, hydrogène arsenié, médicaments oxydants).Anémies mégaloblastiquesElles sont dues à des carences:– en vitamine B12: acquises (maladie de Biermer surtout, gastrectomie), constitutionnelles (anomalie quantitative ou qualitative du facteur intrinsèque, déficit au niveau du récepteur du facteur intrinsèque, déficit en transcobalamine II);– en acide folique: acquises (apport insuffisant, malabsorption, consommation accrue [grossesse]), constitutionnelles (rares et variées).
Encyclopédie Universelle. 2012.